Journal, 18 mars 2022

Levée, petit-déjeuner, dentiste, lecture de la presse, un tour sur les réseaux sociaux. Hier soir, Antoine Compagnon à l’Abbaye de Neumünster. Le titre de la conférence : Comment enseigner la littérature ? Réponse : c’est une bonne question. Je suis assise à côté de mon ancien professeur de français des deux dernières années de lycée, rencontré dans l’entrée. Compagnon raconte sa genèse. La modératrice raconte qu’il vient d’être élu à l’Académie Française, et je me demande, comme à chaque fois, « que [vont-ils] faire dans cette galère ? », moi qui ne peux comprendre qu’on ne soit pas gêné de faire partie d’une institution aussi poussiéreuse si on n’est pas soi-même poussiéreusement mondain. Je connais à peine l’orateur, Collège de France, oui, entendu ici ou là à la radio, souvenir de propos sur l’enseignement, dont la trop grande féminisation aurait fini par saper le prestige. Pauvres hommes. Même s’il n’a probablement pas tort quand je vois les gesticulations de certains représentants de sexe masculin pour garder le dessus, en littérature aussi. Pour ne pas devoir se frotter à la littérature féminine. Un Karl Ove Knausgaard qui dit à Siri Hustvedt qu’il ne se voit en compétition qu’avec d’autres auteurs masculins, en aucun cas avec des auteurs féminins. Je suis donc sur mes gardes, c’est l’intitulé de la conférence qui m’a fait me déplacer. Des fois qu’il y aurait quelque idée à récupérer, la plupart des élèves n’ayant pas l’air de s’intéresser outre mesure à la littérature. Compagnon, fils de général et futur élève de Polytechnique, adolescence aux États-Unis, un professeur d’anglais qui lui ouvre les portes de la littérature, la lecture de The Lord of the Flies, de William Golding. Il suffit d’un professeur, dit-il, un seul, pour entrebâiller le portail, parmi nombre d’enseignants considérés comme dispensables, il suffit d’un seul bon professeur pour franchir le seuil de la littérature. Et puis l’ennui. Ils se sont beaucoup ennuyés, lui, sa génération, et donc ils ont beaucoup lu. Aujourd’hui, l’ennui a disparu de l’agenda des élèves, en effet, remplacé par l’impulsion électronique et le stress, le doigt sur le défilé d’images. Je souris intérieurement. Je suis assise à côté d’un de ces anciens professeurs, un de ceux qui m’ont appris à lire, entre autres Marguerite Duras. Compagnon présente aussi sa dernière publication, La vie derrière soi, où il s’intéresse à la fin de carrière de certains écrivains. Quand arrêter d’écrire ? Comment arrêter d’écrire ? Il se trompe de prénom, veut parler de Philip Roth et de sa décision annoncée d’arrêter l’écriture, le confondant dans son exposé plusieurs fois avec Joseph Roth. Ça me rassure presque, moi-même cherchant désormais souvent des prénoms et des noms dans ma mémoire, ne les retrouvant pas toujours, ou alors des heures plus tard. L’âge n’a pas que des avantages, diraient d’aucuns. Il parle du prix de certaines œuvres de Picasso, information qui ne me semble pas correcte, ou à contrôler du moins. Ses œuvres de jeunesse se vendraient plus cher que tout le reste de sa production. Mon voisin a la même moue dubitative. Peu à peu, l’écoute s’installe. Peu importe que je sois d’accord ou non avec tout ce qui est dit, il y a une sincérité, une simplicité et une amabilité sans vanité dans le propos. J’écoute avec plaisir. On oublie trop souvent dans l’enseignement, poursuit l’orateur, que la lecture peut être une activité dangereuse ou subversive. Ou alors, on désamorce son côté subversif en découpant, morcelant, banalisant les textes jusqu’à les faire devenir des objets inoffensifs. L’analyse est importante, mais le plus important, c’est qu’un texte soit un objet de connaissance ou d’apprentissage de la vie. L’amour, le pouvoir, Compagnon en a appris les rouages avec la lecture de Stendhal, Le Rouge et le Noir. Et un peu avec La Chartreuse de Parme. Je me revois à 16 ans, en main une version abrégée des aventures de Julien Sorel, prêtée par un élève plus âgé. J’en sors secouée et éblouie.

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Journal, Bribes new-yorkaises, Juillet 2017

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NY, Grand Central Station

Trois heures à tuer le dernier jour à NY avant de rentrer. Il fait beau. Bryant Park. Chouette petit parc, des retraités jouent aux échecs sur des tables aménagées, un jazzman s’active sur un mauvais piano, un salon de lecture sous une tente où quelques sans-abri lisent les journaux mis à disposition, une petite bibliothèque avec des classiques qu’on peut prendre pour feuilleter, un tableau avec toutes les activités proposées par des animateurs, un peu plus loin on joue au tennis de table. Lire la suite

Journal 4-14 novembre — Israël / Palestine (3/4)

Jérusalem, en fait une aberration comme ville, en principe les grandes villes sont construites de façon stratégique autour d’un fleuve, pas celle-ci, qui n’a pas grand chose pour elle, mais c’est devenu la ville que se disputent tant de gens. Nous y entrons traversant un de ces fameux checkpoints installés partout où territoire israélien et palestinien se côtoient, nous ne sommes pas Palestiniens, nous entrons sans problème. Le mur d’enceinte de la vieille ville, nous entrons par la porte de Jaffa, nous nous retrouvons dans le quartier juif, je suis éblouie par les rues et ruelles de la vieille ville arpentées par des juifs orthodoxes livres sous le bras, écoliers, femmes entourées de leur nombreuse progéniture, nous traversons, arrivons dans le quartier arménien, puis le bazar arabe, c’est beau les vieilles villes, on y respire un air d’antan imaginaire qui émeut les sens, nous voyons la coupole dorée du dôme du Rocher sur le mont du Temple. Lire la suite

Journal 4-14 novembre — Israël / Palestine (1/4)

Impressions plus ou moins décousues et sans autocensure d’un voyage d’études avec des élèves de lycée en Israël et en Palestine.

Avant l’aube, l’interrogatoire pour visa et enregistrement à l’aéroport de Frankfurt, l’employée d’El Al pose des tas de questions, quoi faire vous allez en Israël, pour combien de temps, qui avez-vous prévu de voir, avez-vous déjà voyagé dans des pays arabes, combien de temps y êtes-vous restée, connaissez-vous des musulmans en Allemagne… je réponds un brin agacée à la fin, mon passeport copié scanné vérifié, on me colle finalement un papier à l’intérieur, au prochain contrôle un visa amovible, mon passeport ne portera pas trace de mon passage en Israël, fouille conséquente avant la salle d’embarquement, j’envisage un croissant, pas de boulanger, rien, juste une machine à café et à barres chocolatées, pas d’inconnue après les contrôles, plus de contact avec l’extérieur, pas de risques, la paranoïa israélienne, fondée certainement.

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Journal 2-5 Juin

La pluie incessante, et puis ce qui passe devant la rétine et prend soudain une importance démesurée, disproportionnée, dans les circuits neuronaux, un petit Japonais de 7 ans laissé dans la forêt par ses parents pour le punir, disparu peu après quand ils voulaient le récupérer, des phrases à la radio, des scandales de harcèlement sexuel devenus dans la bouche de l’accusé écologiste des situations de libertinage incompris, Lire la suite