hors sol
——–
tu devrais être quelqu’un de vivant
même si le soleil jaunit
les branches nues des arbustes
et que dans le ciel une armée grise
rampe lentement vers l’est
tu devrais être quelqu’un de vivant
comme la musaraigne
qui fuit la truffe du chien
la pie qui s’avance en mouvements saccadés
vers des graines perdues
tu devrais être vivante
comme la mousse
qui se répand au milieu du gazon
tu devrais quitter ton corps lourd
et mourant pour vivre une vie d’écorce
sur un tronc aux aguets
tu es de la matière inflammable
laisse-toi consumer
ton hurlement rejoindra celui des loups
ton brame celui des biches
peut-être est-ce le prix à payer
pour que tu sois juste
quelqu’un de vivant
scènes de chasse
———
je vais vers la voiture
des rebelles de parking imitent des scènes
de films vues dans des salles chauffées
de rouges fauteuils je souris
à l’état du monde qu’ils pensent simuler
parcours un tapis d’automobiles
à l’horizon une table de salon
je reviens d’une partie de chasse
sans gibier clairement nommé
la proie se déplace
selon les alliances du moment
c’est un jeu inoffensif de société
où le mots remplacent les sangliers
les cerfs, les lièvres, les chevreuils
marcassins enfouis dans des dictionnaires
ils rusent pour recharger des fusils
qui tuent le sens sous le rythme
d’une danse policée ils organisent
la tribu en clans rivaux
qui se disputent les publicités
pour une meilleure assurance tous risques
dehors la pluie veille et attend
ses enfants qui croissent sur des talus
arrosés de regards fuyants
le long des routes quelques fleurs
à mettre dans des vases ébréchés
Sunday is Dada
jours de pluie
Sunday is Dada
Brouillon
Cinquantenaire de la mort de Picasso. Picasso et les femmes, extrait de roman en cours d’écriture
Quand en 1943, Françoise Gilot rencontre Pablo Picasso, elle n’a que vingt-et-un ans. Il en a soixante-quatre. Difficile d’imaginer que cette jeune fille tombe amoureuse d’un homme qui pourrait être son grand-père. C’est par le peintre qu’elle se laisse séduire. C’est le professeur de génie qui la convaincra, trois ans plus tard, et non sans devoir insister, de cohabiter avec lui. Françoise Gilot a décidé de consacrer sa vie à la peinture et Picasso a des choses à lui apprendre. Le très grand public n’a pas encore saisi son importance pour l’histoire de l’art, et en 1943, il est interdit d’exposition à Paris où il vit depuis le début du siècle. Les Allemands ont placé l’Espagnol tout en haut de la liste des peintres dégénérés. Mais pour les collectionneurs et les connaisseurs, la chose est entendue. L’homme est reconnu, il se considère lui-même comme un génie et ses œuvres se vendent cher. Avec Georges Braque, il est l’inventeur du cubisme et un des plus grands peintres du XXe siècle. Un des plus prolifiques aussi. Un homme qui n’est pas indifférent aux jeunes, voire très jeunes et jolies femmes. Marie Thérèse Walter a dix-sept ans quand il en fait sa maîtresse, lui en a quarante-six. Celle qui lui succède sans vraiment l’éclipser, puisqu’il continuera de voir Marie-Thérèse et leur fille, c’est Dora Maar. Elle a vingt-huit ans, il en a cinquante-quatre. Sa dernière femme, Jacqueline Rocque, a vingt-sept ans lorsqu’il la rencontre. Il en a soixante-douze. Il a besoin de sang frais pour peindre. Et il a donné à la beauté picturale et à la composition d’un tableau une nouvelle définition : la sienne.
Selon Umberto Eco, pour les œuvres importantes de l’art du XXe siècle, « la fin n’est pas de créer des harmonies, mais de forcer au maximum le médium pour introduire des temps de plus en plus violents et insolubles. »
Face et profil sur un seul plan, espace et temporalités différentes sur une même image, vision synthétique et simultanée. Les femmes des tableaux de Picasso sont hypnotiques. C’est le désir qui fait avancer l’Espagnol et on ne choisit pas son désir. Il s’impose. Quand ça désire en lui, l’artiste doit suivre. Il ne peut s’encombrer des lois de la morale. Il ne doit pas céder sur son désir, formule d’un psychanalyste qui deviendra lui aussi célèbre, que Picasso consultait cependant exclusivement comme médecin généraliste.
Dans son autobiographie, Françoise Gilot raconte sa vision de l’homme dont elle a partagé l’existence pendant dix ans. Elle est l’une des seules femmes à l’avoir quitté et il ne le lui pardonnera pas. Elle relate son quotidien en donnant un passionnant aperçu des méthodes de travail du plasticien, mais en rendant aussi palpable l’égoïsme extrême, l’égocentrisme de l’homme et son absolue indifférence aux malheurs d’autrui. Les femmes ne sont pour lui que des objets de désir qu’il manipule à sa guise. Il déclare qu’elles se divisent en deux sortes, les déesses et les tapis-brosse. Or ses déesses, il finissait le plus souvent par les transformer en tapis-brosse. Était-ce uniquement de l’insensibilité, lui qui prétendait faire sentir l’injustice et la douleur qui s’étaient abattues sur la ville de Guernica, cité bombardée par l’aviation nazie soutenant le général Franco ?
Cette œuvre serait d’ailleurs surtout le fruit de la pression de Dora Maar, plus politisée que lui. Selon certaines sources, c’est elle qui aurait poussé Picasso à s’intéresser au sort de la population de cette ville. Elle a photographié tous les stades de la création du tableau. Picasso explique à Françoise Gilot que parfois, on ne peut épargner les autres.
Il existe selon lui une nécessité qui domine toutes les autres. Tout ce qui a de la valeur, une création ou une idée nouvelle, apporte en même temps sa zone d’ombre, qu’il faut accepter. En d’autres termes et en ce qui le concerne, il a le droit d’en user avec son entourage comme bon lui semble, d’humilier, de vilipender, d’utiliser, de faire souffrir. Parce qu’il est Picasso d’un côté, un génie qui ne doit pas être entravé, et parce qu’il est un homme de l’autre et que la femme est selon lui « essentiellement une machine à souffrir. »
Gilot a appris. A souffert. Puis en a eu assez de souffrir pour l’art de son compagnon et s’est tournée vers sa propre carrière artistique.
Elle est devenue une artiste très intéressante que Picasso a essayé de détruire puisqu’il a interdit aux galeries parisiennes de l’exposer, sous peine de récolter ses foudres. Qu’est-ce qui fait rester auprès d’un tel monstre humain, qui n’épargnait pas même ses sarcasmes à ses amis masculins ?
L’enseignement bien sûr, pour les peintres en devenir. Mais aussi la crainte de la disparition. Être choisie par Picasso signifie qu’on ne mourra pas aux yeux du monde. Il a représenté ses muses dans ses œuvres. Fernande Olivier, Olga Khokhlova et Marie-Thérèse Walter peintes par Picasso. Dora Maar par Picasso. Lee Miller, Nusch Éluard, Françoise Gilot, Jacqueline Roque par Picasso. Dora Maar est celle qu’on a le plus plainte, que Picasso aurait le plus humiliée et détruite. Mais était-elle à plaindre ? Elle a abandonné la photographie quand elle a connu Picasso, art dans lequel elle s’était fait un nom dans le giron des surréalistes, pour, incitée par Picasso, se remettre à peindre. Ce qui fera dire à la journaliste Judith Benhamou-Huet, après sa visite de la rétrospective que lui a consacrée le Centre Pompidou en 2019, qu’il l’avait peut-être encouragée à peindre parce qu’elle ne représentait en rien une menace pour le maître. Qualifiée par Benhamou-Huet de peintre médiocre à la production cubiste tiède, peignant par la suite à l’encre des représentations de montagnes et de paysages aux couleurs ternes ou sombres, à la limite de l’abstraction, la critique conclut que s’il y a eu un avant Picasso avec des photomontages surréalistes célèbres comme le cauchemardesque 29 rue d’Astorg, il n’y a pas vraiment eu d’après. Elle a été décrite comme fragile, encline au mysticisme, menacée par la folie. Quand Picasso la rejette, définitivement en 1946, il lui achète une maison à Ménerbes et la remet aux mains de Lacan pour la soustraire aux électrochocs cliniques. Le psychanalyste la sauve en lui faisant remplacer Picasso par le dieu catholique de son enfance. Elle expose encore dans les années quarante et cinquante. Puis se renferme, s’isole toujours davantage du monde, vit de plus en plus pauvrement, devient très bigote et finit ses jours homophobe et antisémite. Un galeriste témoigne qu’elle conservait bien en vue dans son appartement le Mein Kampf de Hitler à la fin de sa vie. Elle a payé le prix qu’il y avait pour elle à payer afin de devenir muse et objet de représentation modelé par les pinceaux d’un des plus grands artistes du XXe siècle. Elle a opté pour l’immortalité. Selon elle, après Picasso, il ne pouvait y avoir que Dieu. Elle est morte à quatre-vingt-dix ans, solitaire, fière jusqu’à la fin de son rôle d’icône du grand peintre. Plus de quarante ans de bigoterie et de vie recluse dans le souvenir du peintre. Être représenté. Sortir de l’indifférenciation. Être repéré. Comme muse, comme modèle, comme inspiratrice, comme individu. Sentir un désir se projeter sur soi. Voir sa propre personne dans les yeux du désirant, se voir avec ses yeux. Se regarder soi-même avec les yeux de l’amour.
Was Wir
—–
Wie willst du zwischen zwei Körpern unterscheiden
wenn sie dich lauthals anbrüllen und mit offenen
Mündern dir eine Rundung ins Gesicht malen?
Am Existenztisch sitzen nur Mäuler mit Sprachgewalt
die anderen warten am Bahnhof auf den Zug
der Zeit des Lebens der Weißwangengänse
auch Nonnengänse genannt
gnak gnak gnak der Vogelzug schwärmt
über deine grau werdenden Haare schwarz
und weiß fliegen sie
sind keine Farben
hat die Lehrerin mit dem Zeigefinger
uns Kindern weismachen wollen wir glaubten
ihr nicht weil wir an unsere Augen gebunden
waren wie Hunde an der Leine
wollten alles wissen nur nicht das
was zu Butter verarbeitet werden könnte
auch die Kühe waren uns fremd wir lernten
von ihnen nur Geduld + Kopfnicken
wie das Wasser änderten wir unseren
Aggregatzustand und wurden zu Wasserdampf
zu Eiswürfeln
irgendwann weckten wir in ihren Betten die Flüsse
—
traduction C. L.
Comment veux-tu faire la différence entre deux corps
quand ils te crient dessus à tue-tête
et qu’avec leurs bouches ouvertes
ils te dessinent un arrondi sur le visage ?
À la table de l’existence il n’y a que
des gueules qui rivalisent d’éloquence
les autres attendent à la gare le passage du train
du temps de la vie des oies à joues blanches
appelées aussi oies nonnettes
gnak gnak gnak la caravane des oiseaux se déploie
au-dessus de tes cheveux grisonnants en noir
et blanc qui ne sont pas des couleurs
disait la maîtresse en pointant l’index
voulant le faire croire aux enfants
que nous étions
nous ne la croyions pas
parce que nous étions attachés à nos yeux
comme des chiens en laisse
nous voulions tout savoir
sauf ce qui pouvait être transformé en beurre
même les vaches nous étaient étrangères
nous n’avons appris d’elles
que la patience et le hochement de tête
comme l’eau nous avons changé d’état
d’agrégation et sommes devenus vapeur d’eau
cubes de glace
un jour nous avons réveillé les rivières dans leurs lits
Intérieurs
……
j’essaie de trouver comment vivre
dans d’autres coins de ma tête
je suis plusieurs filles
et quelques hommes à la fois
je suis une violence faite à ma mère
qui était une violence faite à la sienne
la violence est une cave déserte
on ne se remet jamais
d’avoir trahi
la journée a un goût de miel
dans ma tête le jaune viole un homme
accroché dans une cave
l’homme pleure
à cause de toutes les filles qui sont en lui
———–
Übersetzung C. L.
ich versuche herauszufinden
wie ich in anderen Ecken
meines Kopfes leben könnte
ich bin mehrere Mädchen
und einige Männer zugleich
ich bin eine Gewalt
die meiner Mutter angetan wurde
die eine Gewalt gegen ihre eigene war
Gewalt ist ein verlassener Keller
man erholt sich nie davon
verraten zu haben
der Tag schmeckt nach Honig
in meinem Kopf
vergewaltigt das Gelb einen Mann
der in einem Keller hängt
der Mann weint
wegen all der Mädchen in ihm
Tiere, baumfest
Tiere
Tiere fließen manchmal, ohne Vorwarnung. Du gibst sie auf, dann fließen sie, Lückentiere, Holztiere zum Beispiel, oder Samentiere. Sie legen sich unter dichte Ligusterhecken und werden zu Saft. Sie bedrohen Städte, ihre Enge, sie bedrohen den Schlaf, die Satzzeichen in den Lungenflügeln, sie bedrohen die Atemwege der Menschen. Sie ziehen unter die Bürgersteige und bedrohen die Sportwagen, die Limousinen, die Lieferwagen. Sie dehnen sich aus, bis zum nächsten Fluss. Die Erde ist voll flüssiger Tiere. Sie sind das Blut der Erde. Laute sind Adern in der Luft. Sind Laute sichtbar? Im Rundfunk sind Laute sichtbar.
Bäume
Entsteht aus Kriegen ein Baum oder ein Ast? Wir tanzen um den eigenen Stängel. Entstehst du jeden Morgen? Wie entstehen die Fruchtfliege und das Gold der Sterne? Unter Rinden, der Mantelschlussverkauf der Baumfrauen. Wollgeschickt durch den Nadelwald. Waffenlos pirschen. Die Erle seufzt Morgensäfte. Unter der Sprache wurzelt sie Geheimnisse in den Wind. Aus den Saugnäpfen von Waldkraken schreit es farbige Insekten. Das Laub ist zuhause, wo es wurmt und sabbert. Sonnenstrahlen können nicht weinen, weshalb die Menschen Tränen haben. Wir asten uns um Eichen, um uns bodenständig zu gießen, leben um ein paar Bäume herum, wie Hirsche ohne Geweih.
Kriechen
Wieso wurmsicher? Wieso platzfaul? Weil man nicht platzen will, nicht platzen kann? Schlangenexplosion im Kriechzustand. Autos kriechen, Katzen kriechen, Kinder kriechen, Viecher. Wir unterm Stacheldraht hindurch, ein Wiesenelfenbeinturm im Bauch. Ist ein unsichtbarer Mensch noch ein Mensch? Können Ameisen erblinden? Küchenschmerz, Hochspannung durch transparente Knochen. Leiten Sie den Satz ab, der die Menge hortet. Rettet Bewegung und Zelte! Die Warnhinweise sind selten allein, führen unverblümte Leben, der Schwerkraft willens, und fragen nicht nach dem Weg. Kriechtiere sind nie einsam, der Boden ist kein Grund zur Tiefe.
sommets
–
tout en haut de la vie
se trouve un carton
rempli de sucres d’orge
barley sugar candy
les jours barbouillés
de friandises
quand le givre se dépose
dans le pays des fées
clochette au miel
je pose les vivants
à côté des défunts
j’enveloppe les souvenirs
dans des draps de flanelle
tout en haut de la vie
je prends la poussière