É.A. 

Je me croyais à l’abri de toutes ces carcasses, peinarde devant ma guérite au milieu de nulle part, de vinaigre on n’en avait plus mais chiche, on pouvait se servir sur l’héritage. Il y avait juste l’odeur un peu sale, une sale odeur, piste de sang à suivre, un peu rance, on avançait sur une sente pourrie comme la nature les laisse après la pluie et puis il n’y avait rien que le ciel au-dessus, même les nuages s’étaient barrés. Il n’y avait qu’un aplat de couleur délavée pour signifier que la vue n’était pas bouchée. De toute façon devant soi pas la peine, ça tournait en rond sans décoller, alors autant lever la tête et attendre le bruit.

Au loin on entendait le plus humain des cerfs, et la hyène qui lui volait la vedette n’avait pas arrêté de hurler des insanités dans l’air brillant. De l’autre côté de la falaise, ils ne faisaient ni dans la dentelle ni dans le coton bio, ils n’avaient aucun remords, ils sarclaient, buchaient crachaient et divisaient les chairs fraîches, dépeçaient en rondelles pour jouer aux galets du lac, au mitan de leur lune de fraises. Ils allaient s’accroupir dans les fougères des maisons taudis. En bas des falaises se trémoussait l’écume qui leur servirait un jour de repas nuptial.

Quelqu’un est venu et a prié pour tout le monde, autour des troncs d’arbres en guise de bancs et des plaies ouvertes pour rappeler les faits, rien que les faits, mais personne ne savait lesquels, alors on a prié aussi, histoire de pas faire d’histoires et de se sentir un peu groupe, un peu de la même espèce à regarder le même ciel en murmurant de l’inaudible, respectant quelques syllabes communes.

Un sourire et la journée repartie sur les chapeaux de roues sans roues d’hiver, pas de quoi jeter un froid, un pas après l’autre et joyeux avec toute la soudaine blancheur inondée de soleil, pleine de petites fées iridescentes qui éclatent comme des rires de gazelles, quoi de plus vivant que l’air qui fuit à travers les brindilles fragiles d’arbustes inexpressifs.

Secouer la branche sur laquelle on est assis, on est, ils sont, elles sont et un long frisson parcourt la lande qui le transmet plus loin aux confins du monde. La terre se met à trembler de stupeur parce qu’il y a tout ce mouvement. Il n’y a pas de gestes organisés, pas de danse pas de cérémonie, juste la confusion et l’agitation sans coordination, la terre suit le mouvement et personne ne comprend rien mais il n’y a qu’à attendre que ça cesse pour avoir un peu de répit.
On dirait que les esprits se sont donné rendez-vous plus grand que nature devant une tête de sanglier géant. Leurs rencontres sont des puits muets.