prose poétique
12 nov., 3e texte radiophonique sur les ondes… à réécouter ici
Lecture radiophonique d’un texte poétique, no. 2/5
De septembre à décembre, 20 poètes luxembourgeois lisent 5 de leurs poèmes à la radio.
https://www.100komma7.lu/program/episode/271361/201910161050-201910161053
Ego sum, septembre 2019
—
bataille manuscrite
de couleurs en bleu
rouge d’attaque
il n’y a que l’envers
qui console
des beautés avenir
divins objets
hosties sacrifiées
qui nous prient
meurtres symboliques
violettes agapanthes
mises à mort
le taureau par les cornes
et nous
spectateurs de nous-mêmes
Ecrire, août 2019
—
Ecrire comme on casse des pierres
au marteau-piqueur pour extirper
à la langue ce que la vie cache
sous l’écorce de terre
sortir de la gangue alphabétique
de quoi tenir encore un jour
parce que la délivrance viendra
au bout des mots
écrire comme celui qui cherche
la formule universelle
pour comprendre toutes les pensées
retourner l’intelligence
contre elle-même
l’anéantir pour lui faire cracher
le sens des aiguilles
pour lui faire admettre
qu’elle n’ira nulle part
hors de ce monde
écrire pour entériner la défaite
quotidienne
pour recommencer à échouer
écrire pour apprendre le saut de puce
dans l’univers
pour reproduire les couleurs
qu’on a cru voir
écrire pour tracer des lignes
parce qu’on a des mains
écrire le silence qui assourdissant
tombe du ciel comme la bruine
écrire parce que les pas s’ajoutent
aux pattes de chats dans l’herbe
aux miaulements inaudibles
écrire pour se confondre
avec les paragraphes
et finir par savoir ce que l’on pense
avant de replonger dans un fouillis
de vers de vase
à lutter contre la rouille des hameçons
Matins, août 2019
—
La maison dort
La matinée faseye
Je vois se lever un jour
vieux comme les millénaires
prendre son élan
vague qui va bientôt se briser
contre le bitume
je vais creuser des grottes
au creux de ces heures
le gazon n’est pas tondu
les perles de rosée scintillent
des fleurs aux longues tiges
refermées pour la nuit
que personne n’a plantées
pointent vers le ciel
elles attendent une lumière
plus vive pour s’ouvrir
je vais patienter avec elles
quand elles se déploieront
que le vert se couvrira de jaune
me faire un café
mais je me souviens
que je n’ai plus de machine
depuis trois jours ne me restent
que les dosettes
je laisse flotter dans l’air
un moment encore
l’idée de café
Carla Lucarelli – Histoire 1, 2, 3
Reblog, extrait de Dekagonon (édit. PHI, 2016)
C’est l’histoire d’une ligne
droite
c’est l’histoire d’une ligne de démarcation droite
d’une limite qui scinde un territoire
partagé par une ligne flottante
c’est l’histoire d’une ligne brumeuse
qui trouble la marche
fait vaciller
une ligne mirage
image qui se nourrit de l’irrésolu
c’est l’histoire d’une droite cannibale
qui dévisse les têtes de leurs socles humains
et les dévore
Histoire 2
C’est l’histoire d’un jeu
c’est l’histoire d’un je sans règles
dans un jeu de pions qui avancent et reculent
un jeu déréglé
aux rois confus
aux reines chaotiques
c’est l’histoire d’un jeu de l’esprit
plein de non-dits
formant des arabesques de silences
l’histoire d’un je aux silences anarchiques
qui se mettent à scander les règles d’un jeu
mais trop tard
quand plus personne n’écoute
Histoire 3
C’est une histoire de silences
qui à force de ne rien projeter
projettent des myriades de questions
des flots de malentendus
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L’infini à la portée des fillettes, Juillet 2019
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la cacophonie des corneilles
en bruit de fond
une petite fille court
à s’essouffler
le long de l’allée
va-et-vient d’abord
avec sandales
puis nus pieds
elle n’arrête pas
l’aire de jeu explorée
c’est sa propre énergie
qu’elle veut lancer
oreilles décollées
les yeux irrigués
petite boule de fins cheveux
relevés sur la tête
dents de souris exhibées
elle jette ses jambes
encore potelées
arquées
à l’assaut du bitume
je l’observe depuis un banc
sa mère plus loin
téléphone à l’oreille
lui tourne le dos
comme un chiot lâché
la fillette reprend sa course
je suis le mouvement
constance dans la répétition
dans l’espace
le même parcours
au même rythme
avec la même ardeur
maintes fois bouclé
je laisse pénétrer sous ma peau
les croassements du ciel
le maillot de coton orange fendant l’air
le pré vert piqueté de blanc
le monde s’arrête de tourner
puis repart me laissant sa carte de visite
quelques éclats de lumière
à ranger comme un polaroïd
Gaby (en vrac, 17.06.)
C’est le même désir délire sauvé du vent avec ce nom et ce souvenir Gaby et sa coupe au bol fille fleur et nous petites en devenir émerveillées nous aussi plus tard comme elle sans bol ces gestes si fins si délicats élégance juvénile que nous aurions voulu mais gauches nos petits corps encore saccadés nos gestes elle un sourire comme tous les printemps bouche sang pleine de blanches dents alignées en parfait demi-cercle les yeux pétillants brun or lumineux elle jeune fille déjà nous enfants levant les yeux vers cet été plein de portes secrètes donnant sur des promesses de vies que nous n’arrivions à imaginer existences exquises si nous aussi réussir notre mue devenir jeunes filles comme Gaby à l’orée de l’adolescence nous aussi ces gestes nous aussi ces éclats nous aussi peut-être un jour tourner la tête de cette façon briller comme ce soleil au-dessus des tournesols nous aussi offrir nos splendeurs au monde